Dans la toute dernière revue de presse du Souffle Numérique, je vous parlais déjà du baromètre 2014 de l’offre de livres numériques en France, une étude récemment faite par KPMG. Je ne résiste pas à l’idée de disséquer plus en détail cette fameuse étude aujourd’hui, de manière à ce que vous en sachiez plus sur la présence du livre numérique dans l’édition française. Alors ? Comment se porte l’ebook dans l’édition française ? Voyons ensemble !
Le baromètre 2014 de l’offre de livres numériques en France
Avant de commencer, il peut être utile d’en dire un peu plus sur l’étude de KPGM. Cette nouvelle étude, qui se veut annuelle, a été menée grâce à l’envoi d’un questionnaire en ligne à 138 maisons d’éditions. Seules 56 d’entre elles ont répondu, dont 5 grands groupes, entre novembre 2013 et janvier 2014. Les données évoquées dans l’étude sont donc issues des réponses de 56 éditeurs. La présence de grandes maisons d’édition dans ce panel tendra néanmoins à justifier les chiffres, puisque les éditeurs français les plus importants ont un impact énorme sur le marché en lui-même.
Si vous désirez lire en détail ce premier baromètre de l’offre de livres numériques française, sachez qu’il est disponible à la fin de cet article.
Où en est l’offre de livre numérique ?
Ce tout premier baromètre n’est pas forcément décourageant quand on s’intéresse au livre numérique. En effet, KPGM nous apprend que 62,5% des éditeurs interrogés proposent des livres numériques, parmi lesquels l’ensemble des grands éditeurs français.
Parmi les éditeurs récalcitrants sont surtout évoqués le secteur des Beaux-Livres. On comprend cela aisément : non seulement un Beau-Livre est très difficile à numériser, mais il n’a aussi et surtout aucune raison d’être numérisé. Car si on exagère bien souvent sur la beauté de l’objet livre, c’est rarement le cas lorsqu’on parle de Beaux-Livres (d’où l’appellation d’ailleurs…).
Il est amusant de remarquer que, dans les raisons du refus d’aller vers le numérique, le coût de la conversion se situe derrière l’aversion au livre numérique ! Malgré tout, l’étude semble vouloir dire que les éditeurs n’ayant pas passé le cap manquent tout simplement de moyens et de connaissances techniques pour le faire. C’est tout à fait compréhensible, car l’édition numérique exige un savoir-faire bien différent de l’édition papier, d’où le manque de réactivité (et/ou d’envie) des éditeurs les plus modestes.
Vers un livre numérique enrichi ?
Non content de s’intéresser au livre numérique en lui-même, KPMG a la bonne idée de s’intéresser également au livre numérique enrichi (comprenez un livre numérique qui ne se contente pas de "copier" le papier, mais profite des fonctionnalités numériques : liens, vidéos, photos,…). On apprend sans trop de surprise que 42,9% des éditeurs n’enrichissent jamais leurs livres numériques, et que 42,9% les enrichissent parfois (ce qui peut également vouloir dire jamais).
Parmi ceux qui utilisent le livre enrichi, certains déclarent simplement que c’est parce que la technique le permet à moindre coût, tandis que d’autres affirment vouloir rechercher une nouvelle expérience de lecture ou créer un contenu plus attractif pour le lecteur.
On peut quoiqu’il en soit en déduire que le livre numérique enrichi reste plus ou moins marginal. Cela n’a rien de surprenant ni de décevant. Après tout, le livre numérique n’en est encore qu’à ses balbutiements. Si tous les éditeurs ne proposent pas de livres numériques homothéthiques (semblables au papier), il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils se ruent sur le livre numérique augmenté !
Du 100% numérique ?
Autre question intéressante de KPMG dans son baromètre, celle de savoir si certains éditeurs proposaient des titres exclusivement numériques. Il s’avère ainsi que 27,5% des éditeurs interrogés publient certaines ouvrages en numérique seulement, dont un tiers de fonds de catalogue (livres indisponibles) et deux tiers de nouveautés.
Si cette question a son intérêt, c’est parce qu’elle permet de déceler de futures pratiques des éditeurs français. Numériser un livre indisponible et le proposer à la vente reste encore le meilleur moyen de supprimer la notion de livre indisponible. De même, publier une nouveauté en numérique exclusivement peut laisser entendre que certains ouvrages seront créés pour le numérique, ou que certains éditeurs vont profiter du numérique pour éditer plus, sans prendre trop de risques financiers.
On regrettera néanmoins qu’il ne soit fait nulle part mention de nos amis les éditeurs pure-player (comprenez les éditeurs qui n’opèrent qu’en numérique). Certes, ce sont pour la plupart de nouveaux acteurs de l’édition française, mais leur présence me parait quoi qu’il en soit intéressante à noter dans un baromètre dédié à l’offre de livres numériques, d’autant plus qu’ils sont la preuve de nouvelles pratiques d’édition.
La commercialisation du livre numérique
Sans surprise une fois de plus, le baromètre indique que 82,5% des éditeurs contactés vendent leurs livres numériques titre par titre. Ils sont très peu à opter pour le bouquet, l’abonnement ou l’offre couplée (papier+numérique). Il faut dire que, jusqu’ici, l’idée d’acheter un livre numérique a l’unité n’a jamais choqué personne, et je ne vois pas trop pourquoi cela changerait.
Et le prix dans tout ça ?
A présent, intéressons-nous à ce qui blesse vraiment : le prix du livre numérique. Une grande majorité des éditeurs estiment le prix d’un ebook avec une décote par rapport au livre papier. Il est intéressant de noter qu’ils sont aussi nombreux (57,1%) à ne pas revenir sur le prix du livre numérique après la sortie du format poche du livre papier. Cela explique pourquoi tant de livres numériques sont plus coûteux que leur équivalent en livre de poche.
Au final, le baromètre indique que le prix du livre numérique est identique au prix du livre de poche dans 55,6% des cas, et plus cher dans 11,1% des cas. Cela reste assez difficile à digérer et marque clairement un manque d’implication vers le numérique de la part des éditeurs.
L’un des lecteurs de la dernière revue de presse attribuait cela à une envie des éditeurs de favoriser le papier. Si ces prix élevés du livre numérique sont effectivement une bonne manière de pousser le lecteur papier à éviter le livre numérique, c’est également une bonne manière de pousser le lecteur numérique à pirater les ouvrages.
A-t-on peur des pirates ?
Parlons piratage, justement ! Une autre information intéressante de ce baromètre KPMG reste les solutions choisies par les éditeurs pour contrer le piratage. 71,4% des éditeurs interrogés appliquent des solutions anti-piratages, parmi lesquels 43,2% utilisent les DRM (Digital Rights Management). L’utilisation des DRM se fait plus largement chez les éditeurs indépendants (48% contre 30% dans les grands groupes).
Une fois de plus, si on est loin du 100%, c’est encore trop ! Pour rappel, les DRM contraignent énormément le lecteur/acheteur, et font finalement pire que mieux en matière de lutte contre le piratage. Car il est plus facile de télécharger illégalement un livre numérique que de lire un livre numérique protégé par les DRM, le DRM donnera fatalement envie aux consommateurs de pirater. Ici, je n’en veux pas particulièrement aux éditeurs, mais peut-être plus aux distributeurs, qui doivent probablement inciter les éditeurs à "protéger" leurs livres, sans que ceux-ci ne comprennent réellement de quoi il retourne…
Conclusion
Au final, ce premier baromètre de l’offre numérique apporte assez peu de surprises. On y constate un paysage de l’édition française assez mitigé face au numérique. Faute de moyens ou d’envies, les éditeurs les plus modestes ne se sont pas tous lancé dans l’édition numérique, tandis que les grands groupes préparent déjà le terrain, en prévision d’une hausse future du succès des ebooks.
On peut néanmoins voir se dessiner de nouvelles pratiques (livres enrichis, livres exclusivement numériques, etc.), ce qui laisse à penser que ce baromètre annuel de KPMG pourrait nous fournir un historique de l’édition numérique française assez intéressant dans les années à venir.
Notez que je n’ai bien sûr pas tout mentionné du baromètre dans cet article. Si vous voulez le découvrir plus en détail, vous pouvez le découvrir ci-dessous :
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